Ciné-tourisme et plateformes de streaming : un phénomène en pleine expansion
Depuis quelques années, un phénomène bien connu des passionnés de cinéma connaît un nouveau souffle : le ciné-tourisme. Visiter les lieux de tournage de ses films ou séries préférés n’a rien de nouveau, mais l’essor fulgurant des plateformes de streaming comme Netflix, Amazon Prime ou Disney+ a transformé cette pratique en véritable tendance touristique mondiale.
Derrière l’envie de revivre les scènes culte de Game of Thrones, Emily in Paris ou Harry Potter, se cache un engouement grandissant pour des expériences plus immersives et émotionnelles. Toutefois, cette quête de fiction dans le réel n’est pas sans conséquences : si certaines destinations profitent d’une visibilité et d’un afflux économique inespérés, d’autres peinent à encaisser cette popularité soudaine, au risque de basculer dans la surfréquentation.
Alors, le ciné-tourisme est-il une opportunité ou un phénomène à réguler ? Cet article explore les coulisses de cette tendance entre fascination culturelle et défis de gestion territoriale.
En quoi consiste le ciné-tourisme
Le cinétourisme, également connu sous l’appellation de tourisme cinématographique ou « set-jetting« , constitue une forme de tourisme culturel en plein essor. Cette pratique touristique spécifique attire de plus en plus d’adeptes, séduits par la possibilité d’explorer les lieux qui ont servi de décor à leurs films et séries préférés. Au-delà d’une simple visite, il s’agit d’une véritable expérience immersive permettant aux voyageurs de plonger dans les univers cinématographiques qui les ont marqués.
Le ciné-tourisme une pratique en pleine expansion
Le ciné-tourisme s’est considérablement développé ces dernières années, avec un nombre croissant de voyageurs en quête d’expériences de vacances uniques et mémorables. Cette tendance reflète une évolution plus large du tourisme : les voyageurs cherchent désormais des expériences personnalisées et significatives plutôt que des séjours standardisés.
En effet, le ciné-tourisme offre une expérience touristique particulièrement immersive. Les visiteurs ne se contentent pas d’admirer un paysage ou un monument ; ils revivent des moments marquants de leurs fictions préférées, marchant littéralement dans les pas des personnages qu’ils affectionnent.
Cette dynamique ne cesse d’être amplifiée par de multiples facteurs :
- L’émergence des plateformes de streaming qui multiplient les contenus à succès et stimulent l’imaginaire collectif à grande échelle.
- L’effet viral des réseaux sociaux : où hashtags, géolocalisation et selfies sur les lieux de tournage favorisent l’envie de reproduire l’expérience la mobilisation des communautés de fans : très actives à la fois en ligne et hors ligne qui partagent leur passion, à travers du fan art, du cosplay, des événements organisés… devenant de véritables ambassadeurs des œuvres et des destinations.
- L’implication croissante des offices de tourisme et des acteurs privés : qui créent des circuits ou des visites organisées sur les lieux de tournage.
- La démocratisation du voyage en général : les vols low-cost, les applications de voyage et de géolocalisation… qui abolissent les frontières et permettent aux visiteurs d’organiser facilement leur séjour à des tarifs abordables.
Ce combo d’influences culturelles, digitales et logistiques contribue par conséquent à faire du ciné-tourisme un phénomène global, aspirant de nombreux voyageurs et territoires.
Les destinations emblématiques du ciné-tourisme
Certaines destinations ont su tirer pleinement parti de la visibilité offerte par les productions cinématographiques ou télévisuelles en s’emparant du ciné-tourisme comme d’un véritable levier de développement du territoire.
Le Royaume-Uni et la saga Harry Potter
Le monde magique de J.K. Rowling dépasse largement les livres et les écrans avec une communauté internationale de fans.
Plusieurs lieux touristiques ont vu leur fréquentation exploser : le château d’Alnwick qui a prêté son image aux deux premiers films, la cathédrale de Gloucester dont les couloirs ont servi de lieux de tournage ou encre le viaduc de Glenfinnan en Ecosse.
La Maurienne, une terre de tournages
Située en région Auvergne-Rhône-Alpes, la Maurienne est un exemple concret. Elle s’affiche en effet comme une terre de cinéma souvent primée. Après avoir accueilli le tournage de La Nuit du 12, césarisé en 2023, la vallée de Savoie a été le théâtre d’un nouveau thriller retentissant : Anatomie d’une chute.
Ce rayonnement culturel est désormais intégré à l’offre touristique locale à travers des circuits et supports de médiation.
Camping Paradis, la série française à l’origine d’une franchise
Inspirée de la célèbre série télévisée française, la franchise « Campings Paradis » capitalise pleinement sur l’attachement des téléspectateurs. Des établissements labellisés reprennent les codes de l’émission pour proposer une expérience immersive aux vacanciers, à mi-chemin entre tourisme familial et clin d’œil fictionnel.
L’effet Emilie in Paris
La série Emily in Paris, diffusée sur Netflix, a considérablement renforcé l’attractivité touristique de certains quartiers parisiens, en particulier Montmartre. Selon une étude du CNC, 38 % des touristes évoquent la série comme une motivation pour visiter la capitale.
L’office de tourisme de Paris propose même aux visiteurs des idées d’itinéraire pour marcher sur les pas d’Emilie et découvrir les lieux emblématiques où ont été tournées certaines scènes de la série. Tels que le Café de Flore, l’atelier des lumières, le pont Alexandre III…
Ce phénomène s’inscrit dans une continuité, puisque Montmartre avait déjà connu une vague d’intérêt international suite au succès international du film Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain. Néanmoins, l’effet Emily in Paris semble bien plus viral et mondialisé, porté par les réseaux sociaux et le binge-watching.
Le ciné-tourisme un enjeu économique
Le ciné-tourisme ne se limite pas à une simple tendance culturelle : il constitue un véritable levier économique pour les territoires concernés, à plusieurs niveaux.
Tout commence avant l’arrivée des touristes. En effet, le tournage d’un film ou d’une série peut générer des retombées économiques immédiates pour une région : location de lieux, hébergements, restauration, embauche de techniciens locaux, logistique… Autant de dépenses qui bénéficient directement à l’économie locale.
Par ailleurs, des avantages fiscaux ont été mis en place pour attirer les producteurs sur leur territoire. Lorsqu’un film ou une série est réalisé en France, 30% du montant total des dépenses est remboursé par l’État sous forme de crédit d’impôt, jusqu’à 30 millions d’euros. Un dispositif plébiscité par les productions françaises, avec un coût pour le Budget 2025 de 389 millions d’euros. C’est 50% de plus qu’en 2019.
Au-delà du tournage, c’est la notoriété médiatique des lieux qui attire les visiteurs. Ces derniers ne se contentent pas de photographier un décor : ils consomment localement, dorment sur place, découvrent les environs.
Cet afflux de visiteurs représente une opportunité pour les territoires qui peuvent diversifier l’offre touristique locale et de créer de nouveaux circuits de visites thématiques, prolongeant ainsi la durée de séjour des visiteurs et augmentant les retombées économiques.
Cependant, cette manne touristique peut devenir problématique si elle est mal anticipée.
Le ciné-tourisme : une popularité qui peut surpasser les territoires
Si le ciné-tourisme constitue un véritable levier de développement pour de nombreuses destinations, il peut aussi devenir un fardeau au cas de dépassement de la capacité d’accueil. Certaines régions, mal préparées à ce soudain flux de visiteurs en subissent les conséquences.
Ciné-tourisme et surfréquentation
- Saturation des sites : l’arrivée massives de visiteurs peut dénaturer l’environnement local notamment au sein des villages ou des zones naturelles fragiles. Embouteillages, pollution, nuisances sonores… ces nuisances génèrent des tensions et un certain rejet de la part des habitants.
- Déconnexion entre afflux touristique et capacité d’accueil : quand les infrastructures locales ne sont pas suffisantes pour accueillir un flux important de visiteurs (parkings, sanitaires, …), l’expérience se dégrade pour tous visiteurs et résidents locaux.
- Dévalorisation de l’expérience : trop de monde tue la magie de la fiction. L’écart entre l’image de la destination que les touristes ont aperçu à l’écran et la situation sur place peut être source de désillusion et à long terme ternie l’image de la destination.
- Hausse des prix et spéculation immobilière : dans les zones très prisées, les commerces locaux peuvent être tentés d’augmenter leurs prix. De plus l’explosion de locations saisonnières peut entraîner des difficultés d’accès au logement pour les populations locales et accélérer la gentrification des quartiers.
- Vers un tourisme superficiel : beaucoup de visiteur viennent uniquement pour reproduire une scène ou prendre une photo, sans réelle volonté de découvrir le lieu de tournage, ni de connaître la destination. Ce type de tourisme, ne génère que très peu voire aucune retombée économique pour le territoire.
Exemples emblématiques de tensions liées au ciné-tourisme
- Emily in Paris, Paris
Si la série séduit de nombreux spectateurs, elle suscite aussi de nombreuses critiques de la part des habitants. Ces derniers lui reprochent notamment de renvoyer une image naïve et édulcorée de la capitale. Au-delà de l’image, l’augmentation du flux touristique dans certains quartiers comme Montmartre impacte directement la qualité de vie des riverains.
- Crash landing on You, Iseltwald, Suisse
Ce paisible village alpin d’à peine 400 habitants a été propulsé sur la scène internationale suite au succès phénoménal de la série Crash Landing on You, l’un des Kdrama les plus regardés sur Netflix. Une jetée en bois surplombant un lac aux eaux turquoises a en effet servi de décor à une scène emblématique de la série. Submergées par les visiteurs, les autorités locales ont instauré un péage symbolique pour réguler l’accès. Malgré cette mesure, l’afflux ne faiblit pas, posant de réels défis de préservation.
- Games of Thrones Dubrovnik
Ancienne ville fortifiée, Dubrovnik a vu sa fréquentation quadrupler après avoir été choisie comme décor de Port-Réal. Si les retombées économiques ont été notables, la ville a dû imposer des quotas de visiteurs, revoir ses circuits touristiques, et renforcer ses politiques de protection du patrimoine pour éviter un effondrement de son écosystème urbain.
Pour mieux comprendre la mécanique du surtourisme et en savoir plus sur ses effets sur les territoires, consultez mon article complémentaire sur le blog du MBA MCI : Surfréquentation touristique et démarketing.
Vers un ciné-tourisme responsable : recommandations aux acteurs du secteur
Afin de transformer le ciné-tourisme en levier durable, les territoires peuvent s’appuyer sur plusieurs leviers stratégiques :
Anticiper l’impact des tournages
- Mettre en place un dialogue entre collectivités, offices de tourisme et sociétés de production;
- Créer une cellule d’observation post-diffusion pour suivre les flux touristiques générés;
- Proposer des infrastructures temporaires ou modulables dans les sites sensibles.
Encadrer et orienter les flux touristiques
- Développer une signalétique et une médiation adaptées, qui valorisent les lieux tout en protégeant leur intégrité ;
- Favoriser les visites guidées en petits groupes ou sur réservation ;
- Travailler sur la désaisonnalisation des flux grâce à la programmation de festivals ou d’événements autour du film.
Diversifier l’offre au-delà de la fiction
- Associer le parcours cinématographique à d’autres atouts locaux : gastronomie, patrimoine, artisanat, nature… ;
- Créer des circuits hybrides (culture, terroir, sport…) pour ne pas cantonner la visite au seul lieu de tournage ;
- Engager les habitants dans la démarche pour éviter un rejet du phénomène.
Conclusion
Le ciné-tourisme illustre parfaitement les mutations du tourisme à l’ère digitale : plus expérientiel, plus émotionnel, mais aussi plus rapide et parfois plus difficile à encadrer. Si les films et séries peuvent transformer un lieu en destination incontournable, cette notoriété soudaine n’est pas sans conséquences pour les territoires qui l’accueillent.
Entre retombées économiques et pression touristique, les acteurs du secteur doivent aujourd’hui repenser leurs stratégies pour anticiper et accompagner ces flux. Promouvoir un ciné-tourisme plus responsable, c’est avant tout préserver l’authenticité des lieux, garantir une expérience de qualité pour les visiteurs, et maintenir la qualité de vie des habitants.
Dans un monde saturé d’images, où chaque décor peut devenir un spot Instagram, le véritable défi est peut-être de redonner du sens au voyage. Car derrière chaque fiction se cache un territoire bien réel, avec ses fragilités, ses richesses… et ses limites.
Sources
Dictionnaire du tourisme, Cyril BLANCHET, Julia LUCZAK-ROUGEAUX, Editions l’Harmattan, 2022
10 destinations où faire du cinétourisme, TOM Travel, 2023
Crédits d’impôts du cinéma, Nathan Cocquempot, Octobre 2024
Impact du cinéma et de la fiction TV sur le tourisme, CNC, 2024
De vrais Camping Paradis vont ouvrir partout en France, Ouest France, 2019
Le ciné-tourisme à l’assaut de la Suisse, Arte Regards, 2025